Entretien
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À l’occasion de la sortie du livre RASOIR – Regards sur un objetu du quotidien, nous vous proposons un entretien avec son auteur, Damien Paccellieri.
Comment avez-vous l’idée de ce livre ?
Damien Paccellieri
À la fin de mon adolescence, comme tout garçon devenant homme, l’étape du rasage a été un moment particulier à appréhender. Ne trouvant pas mon bonheur dans la pratique avec un rasoir multilame ou un rasoir jetable, je suis passé au rasage traditionnel (rasage avec des rasoirs anciens, selon une méthode à l’ancienne avec blaireau et savon de rasage) dont les objets et le rituel me plaisaient davantage.
J’ai commencé à m’intéresser de plus près aux rasoirs et de là a débuté ma collection (de coupe-choux pour être plus précis). En fait, je crois que depuis tout jeune j’avais un intérêt inné pour les objets tranchants tels que les couteaux, qui sont au carrefour de l’utile, de la précision, de l’esthétique, du rapport à la peau, au corps, et du danger aussi.
Cette collection a commencé sans avoir encore des connaissances particulières sur le sujet du rasoir. Toutefois, d’acquisition en acquisition, je me suis intéressé à la fabrication de ces objets, leurs origines. Au fil du temps, j’ai affiné mes goûts, je me suis amélioré dans leur utilisation, leur entretien, mais aussi en tant qu’acquéreur, car évidemment mes premiers achats étaient souvent des achats de piètre qualité, le temps de comprendre et de mieux appréhender les caractéristiques nécessaires d’un bon rasoir.
Étant dans le domaine de l’édition et observant le fait qu’il y avait peu de livres sur le sujet du rasoir, contrairement à de nombreux livres sur les poils, la barbe ou encore la coiffure, j’ai pensé qu’il était peut-être intéressant d’en faire un ouvrage, un beau-livre en l’occurrence.
Pendant la COVID-19, j’ai contacté quelques relations qui avaient une bonne connaissance du sujet, qui étaient parfois collectionneurs eux-mêmes, pour leur proposer de faire un ouvrage à plusieurs mains. Néanmoins, la plupart ne se sentaient pas capables d’écrire ou les sujets que je proposais ne les intéressaient pas. J’ai donc abandonné cette intention et j’ai gardé la motivation de faire ce livre tout en laissant un peu de temps s’écouler pour réfléchir à sa structure me sachant désormais seul capitaine à bord.
Et de là, quel a été le processus d’élaboration de l’ouvrage ?
DP
Dès le départ, je souhaitais faire un livre qui puisse à la fois être abordable aux néophytes tout en ayant un intérêt pour les connaisseurs. C’est une ligne de crête que je savais difficile, mais pas à l’impossible. Étant un lecteur de nombreux livres d’arts, de revues de type “mook” (livre-magazine), j’ai très vite réfléchi à un sommaire de type magazine, à savoir une succession d’articles sur des sujets, parfois abordé longuement, ou parfois abordé de façon plus brève, le tout avec des respirations telles que des entretiens, des sujets plus légers ; le tout encapsulé dans une approche “beau-livre”. J’ai donc cherché un ensemble de sujets divers qui constitueraient des chapitres avec, dans l’idée, une lecture du livre sans obligation de commencer par le début. J’avais également l’ambition qu’il soit bien illustré.
Toutes ces caractéristiques ont permis également de penser à une économie du livre, et de remarquer qu’il serait sûrement nécessaire de s’adosser sur un partenaire, un mécène afin d’avoir les fonds nécessaires pour en faire un ouvrage de qualité.
J’ai pris l’initiative de contacter le leader du marché, Gillette, marque issue du portefeuille de P&G (Procter & Gamble) pour leur présenter le projet, car j’avais pu voir que c’était une approche assez unique, qui n’avait jamais été entreprise réellement et qu’elle pourrait mettre également en lumière deux sujets que je cherchais à évoquer, à savoir le patrimoine d’une grande marque comme Gillette, mais également le volet technologique (tout particulièrement au niveau des lames), sans oublier le design aussi.
Quelle a été leur réponse ?
DP
Positive. Très positive même. J’ai eu la chance de m’entretenir avec la bonne personne qui a très bien compris les enjeux d’un tel livre, à la fois pour évoquer la “culture rasoir” au grand public, et ce, dans un format différent des réseaux sociaux qui sont certes très impactant, mais hélas d’une très grande fugacité, alors qu’un livre à cette présence sur le long cours, laisse une trace indélébile que l’on peut retrouver des années durant. Je les ai approchés avec un dossier et un sommaire déjà bâti, un écrin dans lequel la marque Gillette pouvait trouver son intérêt autour des deux thèmes (patrimoine et technologie) cités précédemment. P&G a accepté d’être partenaire, de participer à l’économie du livre, et nous avons trouvé très rapidement des sujets à aborder pour lesquels j’ai pu me déplacer sur place, afin de mieux ressentir et vivre les lieux, les personnes de cette entreprise. Il a donc été décidé ensemble de visiter l’Innovation Centre de Gillette à Reading en Angleterre pour comprendre les enjeux contemporains du rasoir et, pour l’approche patrimoniale, de revenir sur des pièces d’archives qui ont fait de cette marque une marque internationale et pluriséculaire. Sans oublier que j’ai pu m’entretenir avec le designer de Braun, marque notamment de rasoir électrique et que tout le monde connaît, dont le design entre épure et utilitarisme était intéressant à décoder.
Et pour les autres sujets ?
DP
J’ai eu une totale liberté d’entreprendre ces sujets que je souhaitais. Le sommaire étant élaboré depuis le départ, les idées étaient très claires. J’ai souhaité aborder la peinture dans le rasage et liée aux rasoirs, car avant d’avoir la photographie, la peinture était le témoignage des scènes du quotidien (en sus du dessin, de la lithographie que j’ai volontaire laissé de côté ici, puisqu’abordé ici et là dans le reste du livre). Le fait d’être cantonné à 200 pages ne vous permet pas d’aborder toute l’immensité des exemples picturaux sur ce sujet, mais j’ai pu donner un assez grand nombre d’exemples représentatifs de sujets et de leurs époques.
Le sujet des rasoirs de Napoléon 1er me tenait à cœur depuis plusieurs années, c’est d’ailleurs peut-être le dernier des grands personnages avant l’apparition de la photographie et dont la représentation n’est que picturale, ajoutant encore un peu plus à la légende de ses représentations. Napoléon Bonaparte était un utilisateur averti des rasoirs, il était quelqu’un pour qui l’hygiène était importante. Au cours de sa vie, le Général devenu Empereur a eu beaucoup de rasoirs, j’étais donc dans une forme d’enquête pour découvrir lesquels, entre ceux dont on a les preuves évidentes de leur appartenance à cet homme, et ceux dont on a encore des doutes. Les rasoirs sont des petits objets dont la qualité en tant que pièce de musée n’est pas encore évidente et qui fait qu’elles sont conservées avec peu d’informations précises. Ce n’était donc guère aisé d’aborder ce sujet avec toute la précision qu’il nécessite. Pour vous dire, quelque semaines après la fin de la maquette de l’ouvrage, une enchère à Fontainebleau mettait en exergue un nécessaire de portemanteau (n°8) de Napoléon 1er comportant des rasoirs et qui, jusque là, était passé sous les radars de toute documentation existante. Ces rasoirs ne figurent donc pas dans le livre, ce qui veut dire qu’il y a encore du travail sur le sujet pour être le plus complet possible.
J’ai pu aussi évoquer dans cet ouvrage un film chinois, “Le Vieux Barbier”, qui, je crois, est certainement l’un des plus réussis sur le sujet du rasage. J’ai eu la chance de rencontrer le protagoniste du film, qui tient ici son propre rôle puisque c’est un barbier dans la vie, à l’âge canonique de 98 ans, et de découvrir son matériel, sa pratique, ses usages. Je ne pouvais guère ne pas partager cette rencontre unique. En parlant de rencontre, une autre présente dans ce livre a été faite avec Haircut Harry, un célèbre Youtubeur qui parcourt le monde entier pour se faire raser. Il partage avec le lecteur ses meilleures expériences, son regard sur l’évolution du rasoir et du rasage. Cette évolution est d’ailleurs au cœur d’un autre sujet dédié aux changements apportés par les réseaux sociaux et le Web dans notre approche de ce moment fatidique où l’on pose la lame sur notre peau. Et l’on peut dire que tout a changé avec l’ère numérique.
Enfin, le livre se termine sur la fameuse question “et s’il ne devait en rester qu’un ?”, à savoir quel serait l’ultime rasoir que quatre témoins, dont moi-même, garderaient s’ils étaient face à cette situation… que j’espère improbable (rires) !
Quelques mots pour conclure ?
DP
Oui, je dirais que le rasoir, comme bon nombre d’autres sujets, est une sorte de lorgnette pour voir les évolutions sociales et sociétales à travers les époques, tout particulièrement liées ici à notre hygiène, notre apparence, voire même notre identité tant de mouvements sociaux sur le poil, sur l’intimité viennent appuyer le rôle du rasoir. Le livre aborde le rasoir de façon dynamique, plaisante ; j’ai souhaité que ce soit beau et agréable à lire. J’espère qu’il en sera ainsi et souhaite à l’ensemble des curieux, de futurs lecteurs, de le feuilleter et de découvrir des aspects encore peu connus d’un objet du quotidien que tout le monde a quelque part dans sa salle de bain (ou ailleurs) !
En librairie le 11 décembre 2023.
Prix : 35 €