La police des parfums

La police des parfums

Les parfums sont des vecteurs d’émotions.
Ils peuvent nous conter une histoire, une personne, une épopée, une passion, une matière ou tout simplement un sentiment, olfactif ou non.

Alors que les années 1990 comptaient un volume de nouveaux parfums se situant entre 200 à 300 sorties par an, les dernières années se montrées quelque peu déraisonnables avec en moyenne entre 2000 et 3000 lancements annuel !
La publicité, la puissance de feu mercantile, le développement du panel des produits des grandes marques (qui proposent quasiment toutes du parfum désormais) et l’essor de nombreuses maisons de parfums de niche en sont les principales raisons.

Pour faire en sorte que les lancements et la durée de vie d’un parfum soient des plus réussies (car plus de 80 % des parfums créés ne sont plus produits au bout de 2 ans), le design, l’identité visuelle sont des enjeux vitaux. En effet, le client ou perfumista est d’abord en contact avec le conditionnement du parfum, ou son flacon, avant même de pouvoir le sentir. La première impression se doit donc d’être la bonne. Et pour ce faire, les polices de caractères permettent de capter l’attention. 

Nous vous proposons donc de revenir sur 5 parfums et leurs usages typographiques.

 


1.

TERRE D’HERMES – Classe -issisme

Depuis sa création par Jean-Claude Ellena en 2006, il fait partie des meilleures ventes de la parfumerie homme. Sa publicité aux grands espaces, la symbolique de l’homme face à la nature, le cheval, la terre battue, font de son accord hespéridé, poivré et boisé, un classique instantané.
Classique est d’ailleurs peut être le bon mot pour définir l’emploi, semble-t-il, de la police Gill Sans pour le nom du parfum (on reconnaît aisément cette police par ses « R »).

En deux couleurs (blanc et orange) et en deux lignes de même taille, s’associant parfaitement au brun du décorum, il y a une forme de simplicité et de limpidité, dont la couleur orange nous appelle à un imaginaire entre le soleil et la terre.
Hermès, dont les approches visuelles et typographiques ont toujours été d’une grande classe, mais d’un trop grand atticisme dans la parfumerie, n’en démord pas avec Terre d’Hermès, et peut être ont-ils raison, puisque la cible visée est assurément l’homme de plus 35-40 ans qui, à défaut d’avoir du caractère, ne fera pas de faute de goût avec cette fragrance.


2.

LA PETITE ROBE NOIRE – Message personnel

Lancée en 2012, La petite robe noire est un des jeunes piliers des ventes de la parfumerie pour femmes. Issu du savoir-faire olfactif de Thierry Wasser, avec ses notes de fruits rouges, de rose, de tonka, de patchouli, le flacon répond à l’histoire de Guerlain tout en adoptant de nouveaux codes (couleurs notamment). Le plus important réside certainement à la fois dans la typographie, à savoir ici manuscrite, du nom du parfum, et également de l’emploi de l’image de la robe noire, pièce maîtresse dans tout dressing féminin. L’assimilation du parfum à ce vêtement permet l’association d’une idée : si la robe noire est un indispensable de votre garde-robe, ce parfum l’est aussi pour habiller votre sillage. Touché.

D’autant qu’il y a dans cette association quelque chose de personnel, qui touche à la manière de se rendre belle, renforcée par la typographie manuelle.
Le lettrage de la maison Guerlain a été depuis peu modernisé (voire la boîte, contrairement au ruban sur le flacon) et utilise, semble-t-il, la police de caractères Nominee quelque peu modifiée ci et là (notamment la traverse du G et celles du E).

 


3.

GEORGE – De la noblesse

Sortons des sentiers battus de la parfumerie sélective pour jeter un œil sur la parfumerie de niche. Cette dernière a certainement apporté ses lettres de noblesse au parfum au moment même où le secteur était en mutation et où les grandes maisons tiraient sur la corde olfactive pour proposer un éventail de flankers au lieu de se remettre en question. À posteriori, toutes les marques mainstream ont désormais leur département de niche (ou de luxe) : Armani et sa collection privée, Tom Ford et ses « private blends » (prononcez-le à l’américaine), Dior et sa collection particulière, etc.

Parmi cette parfumerie de niche, Jardins d’Écrivains, d’Anaïs Biguine, associe le parfum au monde des écrivains et de leur symbolique. George, référence à George Sand, est une fragrance rappelant des moments de sa vie, dans son salon, où, en dehors de l’écriture, elle fumait. Ce parfum tabac, où l’héliotrope, la violette, le café et le néroli sont telle une cape protectrice, doucereuse et envoûtante, est, d’un point de vue typographique en quête de noblesse. Le choix de la police de caractère Chevalier (datant de 1946 pour sa forme moderne et reprise d’une police du XIXe siècle) apporte une touche d’élégance des temps anciens, une forme d’assise et de majesté. Si son emploi habituellement consensuel, il reste ici, associé au noir et au doré, un instantané d’un glorieux passé.


4.

J’ADORE – Du Dior pur sucre

Nul besoin ou presque de présenter cette fragrance iconique et notamment sa publicité avec Charlize Theron qui a marqué de son empreinte visuelle l’histoire publicitaire.
Calice Becker, le nez derrière ce parfum, qui travaille essentiellement depuis plus de 10 ans pour la maison de parfums By Kilian, a réussi à mettre en flacon (et quel flacon avec son col formé d’un anneau en spirale faisant irrémédiablement penser aux femmes du peuple Padaung ou à la tribu Ndébélé) des senteurs de poire, d’hespéridés, de jasmin, de muguet, violette et de musc.

L’ alignement des planètes parfums / images de marque / campagne audiovisuelle n’a rarement été aussi synchrone. D’un point de vue typographique, Dior a fait… du Dior. En effet, la police de caractères du nom de la marque sert à de multiples reprises pour le nom des parfums. En lettres capitales parfois, de façon condensée rarement : cela reste toujours la police Cochin un tant soit peu customisée. Et pour ne pas changer une équipe qui gagne le nom « J’adore » est écrit de cette police avec cette fois un jeu de placement des lettres (plus haute ou plus basse) pour donner du dynamisme, de la vie à ce nom. L’emploi (à l’excès ?) de la police Cochin met aussi en exergue une idée des plus simples : le parfum et Dior ne font qu’un.

 


5.

TEMPO – L’illustré

Diptyque est assurément l’une des maisons de parfumerie, avec Santa Maria Novella, Buly, Trudon a s’être le mieux gorgée des influences du passé pour les réinterpréter aujourd’hui, et ce, avec une fidélité sur l’ensemble de la gamme. Ainsi, un parfum Diptyque est immédiatement reconnaissable par son packaging, la forme de son flacon et de son étiquette ovale (bouclier prétorien) tout comme les illustrations inspirées du travail sur textile de Desmond Knox-Leet, l’un des trois créateurs de Diptyque. L’illustratrice Safia Ouarès est ici à l’oeuvre pour Tempo et le nez de cette fragrance se nomme Olivier Pescheux.

La typographie classique du nom Diptyque (employant une forme de Garamond / Haarlemmer), de son adresse et de la plupart du nom de ses parfums reprend des polices de caractères anciennes à la main, leur offrant ainsi une personnalisation et un style artistique. Pour Tempo, sa déformation et son nom font penser, d’une certaine manière, à Dali et ses horloges. Une déformation du temps, une sorte de voyage initiatique à travers les époques, avec cette notion de la vie (interprété ici par la biologie des dinosaures, des plantes, du minéral et par les bulles incarnant l’effervescence).

À bientôt, et d’ici là,
parfumez-vous bien !


 

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