Jaguar : un fiasco inédit

Jaguar
Un fiasco inédit 

 

Jaguar a joué et a perdu. Gros, très gros.
En  choisissant de se tourner vers le tout électrique pour 2027 (accusant déjà un retard de un an), alors que le premier modèle 100% électrique
I-PACE n’était déjà pas un succès de grande ampleur (50000 ex. vendu en 7 ans), la marque automobile anglaise (aujourd’hui dans le groupe Jaguar Land Rover, appartenant au géant indien TATA) a voulu faire sa révolution.

Mais à quel prix ?

En effet, Jaguar a fait des erreurs de direction, de marketing, de choix stratégiques qui sont déjà entrés dans la légende de ce qu’il ne faut absolument pas faire.
Et ceci en l’espace de seulement quelques mois, ce qui, à l’échelle d’une entreprise centenaire est quasi inédit.
Nous allons ici revenir sur ce qui a fait de cet itinéraire un fiasco total, un crash qu’il sera très difficile d’effacer.
Car il faut des années pour construire une image, une crédibilité, un succès… et il ne faut parfois que quelques secondes, qu’une erreur, pour détruire cela.  C’est exactement ce qu’il s’est passé. Allez, zou décryptage !

 

L’origine du mal.

Tout commence réellement le 19 novembre 2024, date à laquelle sort le spot « Copy Nothing » (voir le spot ci-dessus).
Ce qui devait être le marqueur du renouveau de la marque a été le premier clou sur son cercueil
En effet, si l’on savait que la marque allait se tourner vers l’électrique et que les puristes avaient commencé à faire le deuil des moteurs thermiques (bye bye la F-TYPE, ciao l’écusson SVR synonyme des versions sportives, arrêt complet de la production le temps de se tourner vers l’électrique, etc.), rien ne prédestinait les afficionados de la marque à tomber des nues lors de la découverte de ce spot.

Cette publicité — postée sur les réseaux sociaux de la marque, notamment X (anciennement Twitter) et Instagram — mettait en scène des modèles hommes et femmes (dont les genres sont parfois difficilement cernables) dans des tenues extravagantes et colorées, avec des slogans comme « live vivid », « delete ordinary », « break moulds », sans jamais présenter de voiture. Si le fond du message est somme toute assez ordinaire pour un changement de braquet comme celui de passer du thermique à l’électrique (avec ce petit côté révolutionnaire, de renversement de la table), la forme, elle, associée à la pensée « woke », va engendrer un déchaînement de commentaires négatifs (dont l’ironique « Do you sell cars? » d’Elon Musk) .

1 – Cette publicité arrivera à contretemps des tendances du moment, avec le retour de Trump au pouvoir, et de plusieurs parties conservateurs de par le monde qui ont sonné le tocsin face à ce que l’on nomme le « wokisme »

2 – Jaguar a oublié ce que voulait ses clients, ceux qu’elle avait déjà. Des experts en marketing constatent que la campagne s’est appuyée sur des concepts abstraits (« modernisme exubérant », « Copy Nothing ») plutôt que sur les qualités tangibles que les acheteurs associent à Jaguar — comme l’élégance, la puissance, la sportivité à l’anglaise. En ciblant exclusivement un nouveau public — plus jeune, urbanisé, et hypothétiquement fortuné — Jaguar a pris le risque de perdre jusqu’à 90 % de sa clientèle traditionnelle !

3 – Dans le même temps, Jaguar a également renoncé son héritage qui était l’un de ses principaux atouts. La nouvelle identité visuelle jette aux orties cette atout unique incarné par les courbes iconiques et la sportivité de certains de ses modèles.  Cette rupture brusque a choqué une base fidèle attachée à l’histoire et l’image de la marque La marque rugissante n’avait certainement pas besoin de tout effacer pour évoluer…

 


Avis
: La nouvelle typographie est très décevante, si simplement et tout en rondeur. Rien de bien spécial…


Avis
: Ne parlons même pas du logo principal (un jaguar auparavant) qui n’est rien d’autre que deux lettres inversé dans un pseudo cercle…

 

4 – Ce film de campagne ne propose aucune voiture en vue (!) et le choix artistique donne l’impression d’un exercice de style déconnecté de la réalité du produit.

5 – Le changement a été brutal, avec peu de communication préalable auprès des concessionnaires, des clients fidèles, ou de la presse spécialisée. En interne, la direction artistique s’est vue reprocher d’avoir confié le projet à une agence externe (Accenture Interactive) sans vraiment associer les équipes design internes, poussées à dénoncer publiquement le manque de cohérence du logo !
Résultat : Une identité visuelle jugée générique, trop « tutti fruti », en décalage total avec l’image dégagée par la marque jusque là.


Des conséquences lourdes.

« Go woke, go broke ? »
C’est la question que beaucoup d’observateurs se sont posés… alors qu’elle n’a pas réellement de sens.
En effet, ce n’est pas le progressisme qui est mis en cause ici ; non, c’est la multiplication de choix qui n’avait aucun sens connaissant la marque et ses clients.

L’électrification n’était pas vraiment ce qu’attendait les clients Jaguar, mais plutôt de nouveaux modèles avec éventuellement une transition vers l’électrique (passant éventuellement par l’hybride).
Quelques mois plus tôt, de nombreux clients et passionnés avaient signalé leur insatisfaction quant au restylage de certains modèles (plus particulièrement l’avant de la F-TYPE ), le choix des motorisations (et leur fiabilité), le manque de sportivité avec le blason SVR qui n’était plus exploité à sa juste valeur : en bref, les client étaient davantages concentrés sur cette typologie des sujets.
Et là, la marque leur a tourné le dos en leur signifiant presque que désormais les clients qui les intéresse sont des jeunes aux forts revenus. Mais se sont-ils déjà intéressés à eux par le passé ? Ce public connaissait-il Jaguar ? Les équipes de la marque ont voulu marquer un grand coup, et ils l’ont fait… dans le mauvais sens du terme. 

Le réseaux sociaux ont alorsété innodé de critiques à l’égard de cette nouvelle publicité ; la marque, elle, a été complètement débordé. 
La juxtaposition entre ce choix de l’électrification, l’arrêt de modèles actuels pour faire une pause et cette publicité qui marquait un scission complète avec le passé de la marqué a été une catastrophe industrielle pour le constructeur automobile.

C’est simple, pour ne donner que quelques chiffes, en avril 2025, les immatriculations de Jaguar en Europe ont chuté de 97,5 % (!!!) avec seulement 49 véhicules vendus, contre 1 961 l’année précédente (!!!). Quelques mois plus tôt, sur la période janvier–avril 2025, les ventes cumulées s’effondrent : -75,1 % avec seulement 2 665 unités vendues.
Enfin, si l’on élargit le spectre temporal et que l’on regarde à l’échelle mondiale, les volumes de vente annuels sont passés d’environ 180 833 unités en 2018 à 26 862 en 2024-2025, soit une perte de plus de 85 %. Un véritable suicide économique. D’ailleurs, pour le trimestre se terminant en juin 2025, JLR (Jaguar Land Rover) a vu son bénéfice avant impôt chuter de 49,4 %, à 351 millions de livres, contre 693 millions un an plus tôt. Le chiffre d’affaires est également en baisse de -9,2 %, à 6,6 milliards de livres. Cette situation est certes imputable aux droits de douane américains, mais aussi à la disparition des modèles thermiques anciens, et à la baisse générale des ventes Jaguar (–66 %).

Jaguar n’est côtée en bourse à son nom, c’est donc tout le groupe TATA (indien) qui a subit des revers importants. Ainsi, le cours de Tata Motors est passé de ₹783,20 INR (début lors du lancement de la campagne « Copy Nothing » le 19 novembre 2024) à ₹649,70 INR au 1er août 2025, soit une baisse d’environ -17 %, équivalente à une perte de valeur en Bourse d’environ 7 milliards de dollars !
Sur une perspective annuelle plus large, la chute est encore plus marquée : le titre aurait perdu près de -32 % sur une année, avec un recul de -8,9 % sur l’année en cours, et -4,1 % durant le dernier mois.


Comme un chateau de cartes.

Les conséquences sont aussi humaines.

Adrian Mardell, qui assumait la fonction de PDG de Jaguar Land Rover (et cumulait 35 ans d’ancienneté dans l’entreprise), a annoncé sa retraite. Cela a été présenté comme une décision planifiée, mais le timing, juste après le lancement très critiqué du rebranding, n’est pas passé inaperçu et est évidemment la résultante d’un telle catastrophe. Son successeur, P.B. Balaji, directeur financier de la maison-mère Tata Motors, a été nommé pour lui succéder — ce qui renforce l’influence de Tata sur Jaguar ; et nous fait comprendre que le côté comptable va prendre le dessus sur le côté créatif.
En interne, cela a également chauffé, notamment de la part de la équipe de design. Plusieurs dizaines de designers (25 à 30 selon les sources) ont signé une lettre adressée au Chief Creative Officer Gerry McGovern, dénonçant le manque d’implication de l’équipe interne et l’abandon de l’identité distinctive de la marque dans le nouveau logo. 

Pire, il y a quelques jours, le groupe JLR a annoncé la suppression de jusqu’à 500 postes de cadres au Royaume-Uni, via un programme de départs volontaires, représentant environ 1,5 % de ses effectifs au Royaume-Uni (≈ 33 000 employés). L’entreprise précise que ces départs volontaires sont une pratique courante pour ajuster ses effectifs en fonction des besoins à court et moyen terme (mais bien sûr !). En fait, ces suppressions se font surtout à la suite d’une baisse marquée des ventes (merci Jaguar !) et à une instabilité due aux droits de douane américains, et à la fragilité économique du groupe sur un marché des plus compétitifs.

Il semble bien loin le temps où Jaguar faisait vibrer le coeur des automobilistes jusqu’à devenir le véhicule d’un antagoniste de James Bond.


 

FIN

 

This is a unique website which will require a more modern browser to work!

Please upgrade today!

Partager